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Entretien avec Rotor

Economie circulaire : Entretien avec Rotor 

“Il ne faut pas penser le réemploi comme une oinnovation radicale mais plutôt comme la réactivation d’une approche vertueuse et simple. Notre philosophie, c’est que nous avons tout à gagner à démarrer et à tester des choses.”


Susie Naval

Chargée de mission chez Rotor, Bruxelles
Propos recueillis le 25 novembre 2020 par La Fabrique des quartiers


Quelles sont les missions de Rotor et la vôtre en particulier au sein de l’association ?

Avec une formation en droit et en gestion de l’environnement, je suis chargée de mission chez Rotor depuis 2019. Rotor est une association fondée en 2005 à Bruxelles par un groupe de personnes désireuses d’interroger le flux des matériaux dans l’économie. Avec des travaux de recherche, des expérimentations architecturales et des expositions, ils interrogeaient la provenance et le devenir des matériaux à travers le cycle de construction.
Très vite, l’association s’est spécialisée sur la question du réemploi des matériaux et a enquêté sur les leviers qui faciliteraient l’intégration de cette démarche par les maîtres d’ouvrage et la rendrait largement accessible. Très vite les dimensions juridiques et environnementales de cette question sont venues élargir le périmètre de recherche. Pour ma part, j’ai intégré l’équipe dans le cadre d’un projet de recherche sur l’intégration de la démarche du réemploi dans les marchés publics des collectivités et dans différents labels liés à la durabilité des bâtiments.

En 2019, Rotor s’engage dans un projet européen visant à faciliter le réemploi dans la construction. Le projet FCRBE (Facilitating the Circulation of Reclaimed Building Elements) porté par Rotor est retenu dans le cadre d’un projet Interreg Europe du Nord-Ouest de trois ans. Rotor en assure le pilotage en collaboration avec 7 acteurs européens : Bellastock et le CSTB en France, Bruxelles-Environnement, Belgian Building Research Institute (BBRI) et la Confédération de la Construction en Belgique, la School of Architecture and Design de l’Université de Brighton et l’opérateur britannique Salvo. Ce projet a apporté une nouvelle dynamique à notre association en renforçant sa mission de recommandation aux collectivités publiques et en élargissant son périmètre d’action de la Belgique vers les pays voisins. 

Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne l’association ?

Nous avons d’abord un pôle de recherche sur les éléments récupérés du bâtiment, qui explore la question sous les angles techniques, juridiques, culturels, et du point de vue de la conception et du design. Rotor intervient aussi de plus en plus régulièrement comme AMO en construction circulaire. L’enjeu sur ces projets est de maintenir un focus sur le réemploi, en l’articulant avec les autres volets de la construction circulaire (maintien, conception évolutive, autres types de matériaux considérés comme innovants…)

Si la mission de Rotor s’est d’abord centrée sur la recommandation et la promotion du réemploi à travers de nombreuses actions de formation, conférences, expositions ou projets expérimentaux, le besoin s’est vite fait sentir d’aller plus loin dans l’opérationnalisation. C’est pourquoi Rotor a lancé une spin-off devenue entièrement autonome en 2016 : la société coopérative Rotor Deconstruction (ou RotorDC). Celle-ci propose des services de démontage soigneux et de conditionnement des matériaux de construction réutilisables, dont elle assure également la vente. Cette coopérative attire une clientèle composée à part égale de particuliers et de professionnels.   

D’où vient cette dynamique du réemploi ?

Elle existe depuis longtemps ! Depuis 2011, Rotor a entrepris de répertorier sur la plateforme numérique, OPALIS tous les opérateurs professionnels du réemploi actifs à Bruxelles et en Belgique. Cet annuaires ’étend aujourd’hui à la France et au Bénélux. Il démontre qu’il existe déjà un maillage d’opérateurs dédiés à la récupération et à la revente de matériaux. Les réseaux sont nombreux, de l’entreprise du brocanteur aux professionnels spécialisés dans le conditionnement de matériaux bien spécifiques. Certaines entreprises fondent leur activité sur le réemploi depuis plusieurs générations ! Il faut comprendre qu’encore après la guerre, cette culture vertueuse du réemploi était assez largement présente. Dès le début du 20e siècle, certains facteurs se sont mis en place qui ont marginalisé les pratiques de réemploi : de démolition plus radicales (comme la dynamite et la boule de démolition), impératif de rentabilité et de vitesse, arrivée d’une multitude de nouveaux e matériaux neufs sur le marché… Tout cela s’est encore accéléré au lendemain de la seconde guerre mondiale. Dès lors, cette tradition du réemploi s’est un peu dispersée.

Aujourd’hui, on constate que certaines filières traditionnelles perdurent, pour des matériaux anciens bien identifiés comme les briques pleines ou les pavés. Les matériaux plus récents sont en revanche encore peu exploités. C’est là que le nouveau regard des collectivités et les nouvelles politiques de prolongation de vie des produits prennent toute leur importance. Les bâtiments plus récents contiennent de grandes quantités de lots de matériaux divers, pour lesquelles des filières de récupération sont à inventer et à développer.

Economie circulaire

Comment le partenariat avec La fabrique des Quartiers, qui travaille sur la rénovation des quartiers anciens de la Métropole européenne de Lille, est-il né ?

Nous avons été en contact avec La Fabrique des quartiers à l’occasion d’un salon Interreg organisé par la Ville de Lille. La fabrique s’est montrée très proactive et déjà investie sur le sujet du réemploi. Notre collaboration s’est donc orientée directement sur l’accompagnement de deux chantiers : l’un visant à tester l’extraction de matériau en direction du circuit du réemploi, et l’autre à injecter des matériaux de réemploi sur un projet en cours. La Fabrique des quartiers avait déjà expérimenté l’extraction et la réinjection de matériaux, mais à l’échelle d’un même chantier. Pour entrer dans une véritable dimension d’économie circulaire, l’enjeu est de pouvoir envoyer les matériaux extraits vers la filière du réemploi, ou de concevoir un projet dès en amont avec des matériaux issus de la filière du réemploi. Nous partagerons nos connaissances à chaque étape de la mise en œuvre de ces deux opérations pilote, que nous allons documenter, pour favoriser une montée en compétences sur le sujet.

Par ailleurs, La fabrique des quartiers fait intervenir sur l’une des opérations une association à vocation sociale et solidaire : La fabrique de l’emploi. L’enjeu est de former des jeunes aux métiers du réemploi et de l’économie circulaire dans une dynamique d’insertion. Notre collaboration nous permettra de documenter cette dimension de l’économie du réemploi.  

Aujourd’hui, comment encouragez-vous les collectivités ou les acteurs privés à se lancer dans l’économie du réemploi ?

Encore une fois, il ne faut pas penser le réemploi comme une innovation radicale de notre époque contemporaine mais plutôt comme la réactivation d’une approche vertueuse et simple, que nos anciens pratiquaient avant nous. Notre philosophie, c’est que nous avons tout à gagner à démarrer et à tester des choses, en se donnant des objectifs simples sur des opérations facilement reproductibles, pour enclencher ensuite une dynamique plus globale. Il est d’ores et déjà possible de s’appuyer sur un vaste réseau d’opérateurs du réemploi pour se lancer, sans attendre demain, puisque la règlementation 2020 incite déjà fortement à prendre cette direction. La démarche est vertueuse, parce qu’elle valorise les compétences d’artisans et de revendeurs en s’appuyant sur leur expérience, leur savoir-faire, pour extraire et évaluer la qualité des matériaux.

Les choses peuvent s’enclencher simplement si on réfléchit aux leviers les plus appropriés. Par exemple, les collectivités peuvent encourager les opérateurs à se lancer, non pas en exigeant une expérience certifiée dans le réemploi, mais avec une clause stipulant que le recours à des matériaux neufs ne pourrait intervenir que si l’opérateur justifiait ne pas avoir trouvé d’équivalent dans l’ancien. J’ai déjà rencontré le cas où une collectivité proposait à ses commissionnaires de venir visiter et évaluer eux-mêmes un stock de matériaux anciens avant de s’engager sur une offre. Ces mesures incitatives devraient multiplier le nombre d’acteurs recourant à la filière, ce qui permettra naturellement de la stabiliser et d’ouvrir les perspectives de l’économie circulaire. Des solutions existent, il faut arriver à les mettre en œuvre simplement, être très clair sur les informations disponibles et s’appuyer sur le savoir-faire d’architectes et d’artisans que l’on peut mettre en condition d’exercer leur créativité et leurs compétences pour s’adapter. En France, il existe une tradition du concours en architecture, qui laisse place à la négociation et à la créativité autour d’un projet. Cette culture est un terrain favorable pour introduire la culture du réemploi. 

Parmi toute votre expérience, y a-t-il un projet exemplaire en matière de réemploi qui vous donne de l’espoir pour demain ?

Il y en a beaucoup ! L’un des plus exemplaires pour moi serait la Tour Mutti à Bruxelles, pour laquelle un objectif de 2% de matériaux de réemploi était fixé. 2% c’est déjà un objectif ambitieux par rapport à ce que l’on sait faire aujourd’hui. C’est finalement entre 5 et 8% de matériaux récupérés qui devraient pouvoir être réinjectés dans la tour. Je pense en particulier aux groupes de ventilation, dont le réemploi a impliqué 8 acteurs, depuis l’extraction jusqu’à la remise en service en passant par la recherche de la documentation technique correspondante et du cahier des opérations de maintenance.

Je crois et j’espère que dans 10 ans un diagnostic de réemploi sera systématiquement effectué sur les bâtiments avant démolition et qu’il faudra justifier pourquoi un matériau n’a pas été réutilisé si l’on sait qu’il existe une demande sur le marché du réemploi (comme la brique ou le pavé). Et d’ici 2030, j’espère que la prise de conscience collective aura transformé le regard que l’on porte sur le réemploi de matériaux. Déjà les architectes nous montrent qu’en étant créatif, on peut faire des choses très belles avec des matériaux de récupération. J’espère aussi que le réemploi fera bientôt partie des enseignements fondamentaux en école d’architecture.

Nous remercions Susie Naval pour son temps et ses réponses.
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